Mon expérience la plus marquante de syndrome de Marfan est, pour l’instant, mon décollement de rétine.
A l’âge de 2/3 ans, mes parents et les médecins ont bien remarqué que je ne voyais pas grand choses. Je tombais souvent, n’évitais pas les obstacles, me prenais les portes, les murs. Le diagnostic est tombé, subluxation des cristallins aux deux yeux. Une ligne dans mon carnet de santé dit « Marfan oculaire », mais rien de plus. Qu’est-ce que Marfan. Rien, Faut pas s’inquiéter. Avec des verres à double foyer ce sera arrangé. Me voilà donc équipé pour affronter la vie avec mes fonds de bouteilles. Et dès cet âge, j’ai du affronter, pas trop la vie, mais la bêtise et les moqueries des autres. Ca forge la caractère me direz-vous ? Oui, mais pas pour un enfant de 5 ans. Je continuais à tomber assez souvent. Mes arcades sourcilières s’en souviennent ; les verres, tellement épais, dépassés de la monture et me coupais quand je tombais. Combien de fois suis-je allé à l’hôpital pour me faire recoudre à cet endroit.
Je continue donc d’avancer à tâtons dans cette vie. Ma scolarité s’en ressent. Je débute le primaire dans une classe pour déficients visuels. Sympa, mais l’enseignement n’est pas vraiment au niveau de celui d’une classe normale. J’apprends à lire avec un instituteur très gentil. Constatant que je ne suis pas débile mais que je me contente de ne pas y voir grand-chose, on m’autorise à alterner entre la classe des déficients et celle des normaux. Vive l’alternance. Je remarque néanmoins que la classe normale est mieux pour moi, l’enseignement n’est pas le même. Fin de l’alternance.
De retour dans une école normale, ma scolarité continue. Toujours au premier rang, pour voir le tableau. Je m’applique, je fais aussi bien que les autres. Il y a bien toujours un idiot pour se moquer, mais ainsi va la vie.
J’arrive au collège. Et tout recommence. De nouveau, des gens malins se moquant de mes lunettes. Que faire ? Rien. Ca devient lassant, ça ne passera pas, on s’habitue, et surtout il y a un manque total d’originalité. Le comique de répétition c’est bien mais ça lasse.
En 1986, un ophtalmo propose à mes parents de m’opérer des cristallins. L’opération me permettra de voir mieux et enfin d’oublier les double foyers. On signe tout de suite, qui est fou pour refuser ? La première opération a lieu en été 1986, trois semaines à l’hôpital, jolies vacances. En 1987, rebelote pendant l’été. D’abord le gauche, ensuite le droit. Tout se passe à peu près bien. Un saignement à l’œil droit me contraint à rester coucher un peu plus longtemps.
Voilà, j’aborde une nouvelle vie en septembre 1987, celle ou je vois à peu près bien. J’oublie mes gros verres, découvre des lunettes plus légères. 1988 est l’année ou je vois le mieux. 1989 est très différent.
Un week-end de janvier est tout bascule. C’est le 24 janvier au réveil que je me dis que quelque chose ne va pas. J’ouvre les yeux et je ne vois pas a droite. Etrange. La veille,, je voyais bien que quelque chose se passait dans mon œil droit et je n’ai pas voulu le voir. L’ophtalmo m’avait parlé du risque de décollement de rétine. Je faisais bien attention. Pas de chocs à la tête, pas de sports avec des balles. Mais bon, c’est arrivé quand même (j’en connais la raison mais n’en ai jamais parlé). Idiot ou inconscient, je ne dis rien, pars en cour comme si de rien n’était. J’avais interro de latin, je pouvais pas la louper. Je m’applique pour bien écrire. Une fois fini, je lève la main et je dis « Madame, je peux aller à l’infirmerie ? Je ne vois plus d’un œil ». Je me retrouve à l’infirmerie, le principal adjoint à mon chevet se demandant ce qui m’arrive. Je le lui explique. Mon père arrive. Nous rentrons. Dans l’après-midi, direction la consultation de l’ophtalmo. Le verdict est sans surprise, connu et attendu depuis longtemps. Tout juste le temps de rentrer faire ma valise et le lendemain je me retrouve à l’hôpital. Je suis calme, même si je sais que cela est étrange voire dramatique. Inconscient ? Non, plutôt préparé, résigné.
Je suis opéré le lendemain. Je me réveille dans une salle que je ne vois pas, un énorme pansement sur l’œil droit. Machinalement j’ouvre les yeux, ça fait mal. Je les referme, ça fait mal aussi. Je décide de garder l’œil gauche fermé (je n’ai pas encore l’habitude qui viendra bientôt de n’ouvrir qu’un œil). Je ne sais pas ou je suis. Réanimation, l’opération a duré six heures. J’ai mal, mais on ne me donne rien. La perfusion me fait mal au bras. Il enfle. Je sens des présences autour de moi. Je ne vais pas bien, les suites de l’anesthésie, je vomis. Je vire un truc qui me pince le doigt, l’infirmière vient me le remettre, c’est pour contrôler mon cœur. Mes parents viennent me voir, moi, je ne les vois pas. Je sens que de me voir ainsi ne doit pas leur faire une très grande joie. Je sens du liquide qui coule de mon œil, il m’arrive dans la bouche, il est chaud, pas mauvais au goût. C’est du sang. Je passe trois semaines couché à l’hôpital, ne devant pas trop marcher, juste pour aller aux toilettes et me laver. Le médecin me laisse rentrer. Je ressemble à un pirate avec mon pansement et mon cache sur l’œil. Je dois rester coucher, à la maison en attendant la cicatrisation. Elle se fait mal. Je dois être de nouveau opérer. Je reste une dizaine de jour pour une greffe de conjonctive. Retour à la maison et à la position couché. Je retourne en cour, pas très motivé. Je finis l’année asse bien tout de même.
Et le résultat de tout ça me dirait vous ? Rien. Une troisième opération en octobre, injection de silicone pour tenir en place cette rétine qui n’en finit pas de bouger.
Et depuis ? Je me suis habitué à une vision mono, à cet œil pas mort mais qui ne voit que la lumière et de rares formes. Plus rien à faire pour mon œil.